En préparation à un atelier de RIDEAU sur les nouvelles réalités de la diffusion artistique, Frédérick Gravel et Katya Montaignac ont répondu aux questions de Caroline Lavoie à partir de l’expérience de La 2e Porte à Gauche.
LES MULTIPLICITÉS DE LA DIFFUSION : NOUVELLES RÉALITÉS…
Chapitre 2 : Impliquer le public
Caroline Lavoie : Pour votre projet Danse à dix, vous avez choisi de présenter les chorégraphies dans un bar de danseuses nues. Pourquoi ce choix ? Quelle était l’exploration que vous vouliez faire ?
Frédérick Gravel : Il y a de la nudité dans la danse contemporaine et les réactions sont diverses face à ce phénomène. Mais dans l’idée d’un corps nu qui danse, il y a aussi l’idée de la marchandisation du corps… Consommer de l’art et consommer le danseur… L’artiste se posait la question : « Est-ce que notre but est de séduire le public ? »
Katya Montaignac : On posait la question aussi bien aux chorégraphes qu’au public – et on pourrait poser la question aux diffuseurs : à quel projet de corps aspirez-vous ?
Dans Danse à 10, le public pouvait « s’acheter » un danseur pour $10. Il allait alors dans un isoloir pour assister à un solo rien que pour lui.
Ce que les spectateurs voyaient d’abord, c’était un éventail de langages chorégraphiques et de couleurs artistiques puisqu’ils voyaient différentes chorégraphies créées par divers créateurs. Après, le spectateur faisait ses choix…
On a aussi réfléchi aux différences qu’il peut y avoir entre le fait de regarder un spectacle de façon anonyme parmi la foule ou de le voir seul à seul, où là, on n’est plus anonyme.
C.L. : Comment réagit le public à vos propositions et à vos événements?
Katya Montaignac : Le public est particulièrement enchanté de vivre des expériences inédites dans divers lieux hors des salles conventionnelles. Au-delà d’assister à un spectacle de « danse contemporaine », il s’agit pour le public de participer à un véritable « événement ».
C.L. : Est-ce que, d’après vous, les spectacles de La 2e Porte à Gauche contribuent à développer un public pour la danse contemporaine ?
Frédérick Gravel : Nos présentations « hors les murs » ont contribué à nous faire connaître au début, car on était moins connus. Notre désir était de présenter nos œuvres au public et donc de faire en sorte que le public voit de la danse contemporaine. Si le public vit une expérience intéressante, il peut développer son goût pour la danse contemporaine.
Nos événements lui permettent de recevoir autrement une œuvre. Ils sont plus près, ils sont inclus dans la proposition, c’est souvent plus immersif. Pour eux, c’est souvent une révélation. Il y a des gens qui ne fréquentent pas la danse contemporaine et tout d’un coup, ils la voient dans un contexte inhabituel et la voient autrement et moins lointaine.
C.L. : Crois-tu que votre public vous suivrait si vous présentiez des événements dans des salles « conventionnelles » ?
Katya Montaignac : Il nous est arrivé de créer des spectacles en salle. À commencer par le Blind Date créé en 2007 à la Cinquième Salle pour la Nuit Blanche : le spectacle a fait salle comble toute la nuit. Nous avons construit le spectacle sous forme de petits tableaux dans l’idée que les spectateurs entreraient et sortiraient librement pour regarder 10 min puis partir voir autre chose dans la Nuit Blanche. Finalement, les spectateurs sont resté en moyenne 1 heure, car ils voulaient voir l’ensemble des tableaux, suscitant une file d’attente vertigineuse dans les couloirs de la Place des arts !
Nous rêvons de reprendre ce spectacle qui se passait à la fois sur scène et hors scène. On rassemblait à la fois le public à l’intérieur de la salle et complice du spectacle, et un public « passant » qui nous rencontrait hors de la salle : cette stratégie artistique suscitait la curiosité des passants qui voulaient tous entrer dans la salle voir ce qui s’y déroulait.
Nous développons différentes stratégies pour rendre le public complice (et consentant !) de nos expériences. Il agit à titre de collaborateur artistique. Dans tous nos spectacles, le public participe à l’œuvre autant que les danseurs.
Lire aussi : Chapitre 1 : Le diffuseur comme complice artistique…
À suivre : Chapitre 3 : Le rôle de l’artiste, entre médiateur et commissaire…