01 Juin
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Danse à 10 | 2011 : Témoignage de Miss Betty Wilde

Aff_T840_13Tribune 840 | DANSE ET ÉROTISME : « Voulez-vous coucher danser avec moi? »

« Aujourd’hui, la pluralité des discours politiques et philosophiques sur le corps oriente différemment la question de l’érotisme en danse. Dans une société qui carbure aux images de séduction, comment se positionne la danse, entre l’intention délibérée ou non de séduire, ou celle de dénoncer les rapports de pouvoir sous-jacents à toute tentative de séduction ? »

Dans le cadre de la Tribune 840, la danseuse Sarah-Eleonor Lamontagne, alias Miss Betty Wilde, a témoigné de son expérience dans le cadre de la production Danse à 10.

Mon parcours sur la scène érotique mʼa amené à participer au spectacle de La 2e Porte à Gauche, Danse à 10, pour y interpréter sous la direction de la chorégraphe Mélanie Demers, la chute de mon personnage Miss Betty Wilde.

La 2e Porte à Gauche a voulu, à travers ce projet, amener le spectateur à se questionner sur la marchandisation du corps ainsi que sur la relation entre le spectateur et le danseur en isoloir. Dans le numéro de Mélanie Demers que je partage avec Angie Cheng, elle y est complètement nue et place la mise en scène, tandis que Miss Betty Wilde arrive affublée de toutes ses plumes. Bigger than nature, je monte sur scène avec confiance, je joue de séduction, invitant le public à mʼapplaudir pour lui révéler quelques bouts de chair. (…)

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Miss Betty Wild | Chorégraphie : Mélanie Demers | Interprètes : Sarah Eleonor Lamontagne et Angie Chen | Photographie : Mathieu Doyon

Créer des illusions

Jʼai commencé à danser en 2007 au chic et controversé Café Cléopâtre. Jʼai acheté une perruque blanche, sorti une vieille paire de bottes de danseuses dont je ne mʼétais servie que pour lʼHalloween, jamais je nʼaurais pensé les sortir pour vraiment monter sur un stage de bar de danseuses. Jʼai enfilé ce que jʼavais de sexy dans mon tiroir à lingerie, suis montée sur scène avec AC/DC comme trame de fond. Et jʼai balancé mes premiers coups de hanches devant des inconnus. Si jʼai dʼabord abordé la scène de façon purement pécuniaire, jʼy ai découvert tout un monde qui mʼétait complètement étranger et qui de façon tout aussi étrange mʼinterpellait. Vivre la nuit, sans patron, exécutant des mouvements lascifs et séducteurs dans le seul but de vendre une marchandise qui se voulait mon intimité à des hommes dont je ne connaissais absolument rien. Nous nʼétions dans ce bar que pour se créer des illusions. Autant eux que moi. Jʼai découvert lʼérotisme et le pouvoir de mon corps comme élément dominateur.

Si jʼai abordé la scène bourrée de complexes et insécure, jʼen suis ressortie avec une confiance renforcée de commentaires complaisants. Mais basée sur quoi? Jʼai toujours été artiste, un peu intello, mais suite à des événements plus difficiles, jʼai un jour choisi la facilité et me suis perdue dans un monde superficiel. Nourrie au champagne et affublée de maquillage pour recouvrir Sarah dʼun personnage qui endosserait mes envies et fantasmes. Mes tabous. Un alter égo. Et me déresponsabiliser de mes actions. Jʼai commencé sous le nom de Fanny et lorsque jʼai changé de club, il y en avait une autre qui portait le même nom. Betty mʼest venu sans que jʼaie vraiment cherché. Betty Page, icône pin up et fétichiste, Betty Grable, actrice, danseuse, chanteuse…

Hypersexualisation vs érotisme

Jʼai dansé pendant presque deux ans et demi, jʼai fini par troquer mon bikini contre un bustier, ajouté un boa et jʼai raffiné et développé mon style qui contrastait avec ce que les gens avait généralement lʼhabitude de rencontrer dans un bar de danseuses nues. Quand je montais sur scène, jʼaimais donner un vrai show, pas juste tourner autour dʼune pôle avec un air blasé ou en adoptant des mouvements tiré dʼun mauvais film porno. Je trouvais que les filles manquaient de charme quand elles se trémoussaient comme de véritable porn stars en puissance. Cʼétait pour moi gras et vulgaire, ça ne correspondait pas avec ce que je considérais comme séduisant et aguicheur. Il est vrai que la plupart des filles que jʼai côtoyé ignoraient tout de Lily St-Cyr ou de Gypsie Rose, mais pouvaient aisément répéter des mouvements que lʼon retrouve dans les vidéos clips dʼAkon ou des Destinyʼs Child. Lʼhypersexualisation était omniprésente et ça manquait dʼérotisme.

(…) Jʼai joué sur les fantasmes de ceux qui me regardaient, les yeux dans les yeux en glissant ma main le long de ma cuisse. Lʼérotisme me servait à exciter lʼimagination sans jamais tout exposer. Je nʼavais pas besoin dʼen faire beaucoup, je nʼavais quʼà jouer avec le public en proposant des gestes évocateurs. Jʼai découvert le burlesque lorsquʼun ami mʼa comparée à une pin up : Laura Legs, personnage de danseuse de cancan dans une histoire de Lucky Luke avec mes cheveux blonds bouclés, mes bustiers en dentelle et
mes bas filet… Jʼai effectivement un je-ne sais-quoi qui faisait burlesque américain…
Suite à des recherches sur internet, jʼai découvert une histoire passionnante sur des icônes des différentes époques du burlesque américain et européen qui maitrisaient cet art de séduire et dʼérotiser le simple geste dʼenlever un bas nylon.

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Miss Betty Wilde dans Danse à 10 | Chorégraphie : Mélanie Demers

De fille perdue à danseuse contemporaine…

(…) Mon personnage de Miss Betty Wilde est venu avec le premier Festival Burlesque de Montréal. Je nʼavais plus envie de danser dans les clubs, cet univers me devenait de plus en plus glauque et les mauvaises rencontres se multipliaient. Je sentais que je nʼavais plus ce quʼil fallait pour jouer cette comédie. Mais jʼaimais la scène. Ainsi jʼai rencontré Scarlett James, productrice du festival qui mʼa offert de monter sur scène. Si je détonnais dans un bar de danseuses, je me confondais parfaitement dans ce nouvel univers. Jʼai souvent décrite Miss Betty comme étant la fille illégitime dʼOscar Wilde et qui aurait fait chavirer Lautrec. Deux grandes inspirations de mon personnage. Je passe des heures à la confection de mes costumes, mʼinvente toutes sortes de scénarios…

Cʼest ainsi donc que jʼai laissé ma marque dans les bars où je me suis baladée avec mes plumes et plus tard, me suis monté une certaine image publique avec Betty. Lorsque La 2e Porte à Gauche a approché le Kingdom pour y installer son spectacle, ils souhaitaient intégrer de «vraies danseuses» dans leur show. Le patron se souvenait très bien de moi et mʼa référée… Je suis donc passée de fille perdue dans un bar de danseuses à interprète dans un spectacle de danse contemporaine. Méchant parcours.

Lʼérotisme fait partie de lʼhistoire de lʼhumanité

Pour la petite histoire, le burlesque est en fait la grand mère des bars de danseuses nues. Et avant le burlesque, il y a eu certains événements qui ont annoncé sa venue. En 1889, à lʼexposition universelle de Paris, il y a eu les Cabarets de la Rue Du Caire, on y retrouvait des danseuses du ventre égyptiennes, marocaines et algériennes, leurs performances qualifiées dʼexotiques suscitèrent une telle attraction, plus de 2000 personnes se sont bousculées pour venir les voir, les organisateurs se sont demandé si les spectateurs venaient vraiment pour y découvrir les moeurs des indigènes ou sʼils ne venaient pas plutôt par voyeurisme malsain… et ils ont pensé annuler les représentations.

Que ce soit dans les arts littéraires, de la musique ou de la danse, l’érotisme fût de tout temps décrié. Et pourtant, LʼOrigine du Monde de Courbet ne fait plus scandale, ni le Marquis de Sade ! (…) Le strip-tease d’aujourdʼhui nʼappartient peut-être quʼà notre époque mais la danse érotique se perd dans la nuit des temps. La danse et lʼérotisme par le déshabillage du corps féminin fût de toutes époques et de toutes cultures, jusquʼà ce que le christianisme ne vienne le bannir parce quʼil référait au péché originel commis par Eve. Pendant plusieurs siècles, la femme sera la principale victime dʼun obscurantisme effrayant ! «La tentatrice», «celle qui a conduit lʼhomme au péché», «le sexe malfaisant»… Et ça se poursuit aujourdʼhui encore à travers la chasse aux sorcières contre les travailleuses que lʼon dit «du sexe» ! Mais lʼérotisme répond à une demande. Règle fondamentale du marchandisage de lʼoffre et de la demande. On se scandalise des femmes voilées du Moyen-Orient, mais ici en Occident, voilà à peine plus de cent ans on enfermait les femmes dans des corsets, les habillant jusquʼau cou, les jupes touchant le sol. Pourquoi ? Et lorsque les vaudevilles ont introduit des rôles dʼhommes tenu par des femmes, lorsque le french can-can a traversé lʼAtlantique, lorsque le procès de Lily a fait jurisprudence, lorsque les «danses à 10$» sont arrivées dans un isoloir près de chez vous, cʼest tout un scandale qui éclate !

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Miss Betty Wild dans Danse à 10 (2011) de La 2e Porte à Gauche | Chorégraphie : Mélanie Demers | Interprètes : Sarah Eleonor Lamontagne et Angie Chen | Photographie : Mathieu Doyon

Le nu : du burlesque au contemporain…

Le plus difficile pourtant, dans tout mon parcours dʼeffeuilleuse, fût probablement de me mettre à nu devant les yeux de Mélanie, sans fards, sans fans… Voici un extrait du courriel que je lui ai envoyé après une répétition :

« Quelle difficulté ce fût hier soir pour moi de toucher à cette réalité qui est bien le sujet
principal de ce projet, que nous pourrions aussi percevoir comme une recherche. La réalité de ne pas avoir tout le bagage nécessaire pour amener la rigueur et l’équilibre qui caractérise le travail des vrais danseurs contemporain. J’ai ressenti ce grand sentiment de l’imposteur. Pour ceux qui n’y connaissent rien, je danse, mais pour ceux qui voient la technique, le travail de plusieurs années de pratique, de dévotion et de discipline, verront bien que je ne suis qu’une amateur aux grandes idées mais de bien piètre technique. Cette réalisation, ne serait-ce que d’admirer cet exemple de « toucher l’étang » sans voir un poil sourciller, m’a profondément déstabilisée dans ce que je me croyais en mesure de faire… Cela dit, l’expérience d’hier ne fût pourtant pas un échec en soi, si malheureusement, les trois heures dépensées ne furent pas tout à fait exploitées à leur juste valeur précieuse, elles m’ont tout de même apporté quelque chose. Ce week end, je le passerai en position de yoga talons haut dans les pieds! Je suis rentrée à la maison le coeur gros et l’esprit déçu de ne pas avoir livré la marchandise. (…) La rage et la frustration m’ont fait verser quelques larmes, je me sens moins nue devant 75 personnes que devant toi… Parce que mon métier dans cet aspect de la danse, c’est du showbiz, du gros camouflage de manque de talent derrière des costumes flamboyants, des sourires qui séduisent et qui font carrément oublier cette maladresse… C’est du fake, un gros show de boucane… Reste que ce projet est le plus gros défi que j’aie rencontré depuis longtemps, je vais redoubler d’ardeur et rendre cette émotion. J’ai flanché, flanché de peur, de honte et d’une confiance qui a dégringolé… »

Sarah-Eleonor Lamontagne
Tribune 840 du département de danse de l’UQAM
Mercredi 2 novembre 2011

À lire aussi :

  • “Variations sur le genre” : un article rédigé par les 8 créateurs de Danse à 10 publié dans le numéro #2 de la revue Aparté dirigé par Philippe Dumaine et intitulé “ACTES SEXUÉS : postures subversives du genre”, paru en mai 2013.
  • Quand la danse pénètre (dans) un bar de danseuses : un texte à cinq mains issu de nos réflexions, publié dans la revue de théâtre JEU, n°143, (2) 2012, p. 144-147. En ligne sur le site Érudit.org
  • « Danse à 10 : expérience polysensorielle« : une analyse d’œuvre par Myriam Daguzan-Bernier réalisé dans le cadre d’un cours de Jocelyne Lupien  sur « Le corps et ses enjeux dans l’art ». Publiée le 31 décembre 2011 sur le blog Ma mère était hipster.
  • « Effeuillages chorégraphiques« : un article de Katya Montaignac publié dans la revue de théâtre JEU, n°127, (2) 2008, p. 158-162. En ligne sur le site Érudit.org