26 Avr
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Pratiques collaboratives par RACHEL BILLET | 1/4

Les enjeux de la collaboration artistique (par Rachel Billet)

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La 2e Porte à Gauche : une direction artistique partagée | 71/2 à part. (2008) : Katya Montaignac, Frédérick Gravel, Amélie Bédard-Gagnon et Marie Béland | Crédit photo : Élaine Phaneuf

La collaboration artistique est au centre de la pratique et des questionnements de La 2e Porte à Gauche. Elle agit à différents paliers : tout d’abord au niveau de sa direction artistique partagée entre ses cinq membres, ensuite en tant que paramètre de jeu et contrainte de création pour l’ensemble de ses productions qui réunit de nombreux collaborateurs invités (chorégraphes, interprètes et créateurs d’autres disciplines artistiques), et enfin à travers la participation du public.

1. La collaboration artistique : composante de l’écosystème des mondes de l’art

Les interactions au sein des réseaux d’artistes font émerger de nouvelles stratégies tant au niveau des initiatives de création, que des modes de fonctionnement (Becker, 1988). La somme des actions menées par les différents acteurs du milieu (artistes, travailleurs culturels, médias, bailleurs de fonds, politiques, public…) redéfinit en permanence la notion même d’œuvre chorégraphique et ses conditions de présentation. En quoi les initiatives artistiques élaborées dans une démarche collaborative peuvent-elles bousculer le rapport à la création ? La collaboration permet-elle un renouvellement du schéma « classique » de la création à chorégraphe unique ?

Au sein des projets de La 2e Porte à Gauche, les artistes-collaborateurs développent leurs singularités esthétiques comme une somme d’individualités et d’intersubjectivités qui influence les prises de décision de la direction artistique. Dans ce contexte, ces cocréateurs approfondissent leurs procédés créatifs, verbalisent leurs intentions et clarifient leurs visions à travers les procédés que La 2e Porte à Gauche initie (mise en commun, partage des données et communication en réseau). On peut parler de « paramètres de création singuliers » propres à chaque projet. Du coté des créateurs, la collaboration nourrit les pratiques artistiques individuelles de chacun, tel un espace de ressourcement et de stimulation.

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9 1/2 à part. (2009) : une colocation artistique | Élodie et Séverine Lombardo, Katya Montaignac, Martin Lemieux (L E M M), Anne Thériault, Marie Béland, Frédérick Gravel et Maya Ostrofsky | Crédit photo : Amélie Bédard-Gagnon

2. Méthodologies de la collaboration

La notion de collaboration est historique, omniprésente et se décline sous de nombreuses formes. Elle touche autant les frontières esthétiques et disciplinaires que la manière dont les différentes composantes du milieu interagissent (de la création à la diffusion, en passant par la production). L’expérience de La 2e Porte à Gauche prouve qu’elle est un défi constant et l’objet de nombreux fantasmes artistiques.

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Alain Francoeur et Frédérick Gravel en répétition pour 4quART (2011) | Crédit photo : Katya Montaignac

Il n’y a pas de recette propre à la collaboration, mais elle répond à un certain nombre de paramètres et de contraintes déterminés par une direction artistique. La collaboration s’avère ainsi un véritable terrain de jeu. Elle demande constamment des réajustements. Depuis 2004, nos modes de collaboration se sont déclinés selon différents projets : collaboration entre toute l’équipe artistique et le public (Blind date chorégraphique, 2007), colocation artistique de plusieurs semaines (7½ à part. et 9½ à part., 2008 et 2009), spectacles à créateurs multiples (4quART, 2011) et mise en jeu de la position de spectateur (Danse à 10, 2011).

Enfin, l’entité même de La 2e Porte à Gauche part d’emblée d’un consensus à cinq voix. Assumant une direction artistique partagée entre ses cinq membres, l’équipe de La 2e Porte à Gauche confie cependant à un de ses membres la direction artistique d’un projet, ainsi que sa direction de production. Elle propose à ce titre un modèle unique de création, de gestion et d’administration en se positionnant comme une plateforme, à l’intersection des mondes de la création et de la production en danse. L’intervention de la direction artistique d’un projet s’ajoute alors comme une énième entité aux potentiels créatifs de chacun. Au niveau esthétique, la recherche chorégraphique au sein de La 2e Porte à Gauche exige à ses collaborateurs de créer avec une donnée variable : celle de la relation au public. Cette interactivité est multiple et varie pour chaque représentation, ce qui nécessite la conception de dispositifs chorégraphiques ouverts et évolutifs.

2050 Mansfield : rendez-vous à l’hôtel (2014) | Olivier Choinière et Marie Béland | Crédit photo : Claudia Chan Tak

3. Entre la collaboration et la commande artistique

La frontière entre la collaboration et la commande artistique limite les déclinaisons de ce mode de création et de production. Il contamine (et est contaminé) par des « zones d’interférence », qu’il s’agisse de production, de financement ou de promotion. « Les frontières [entre ces mondes] se brouillent ou s’interpénètrent, là où il est tout à fait légitime de se demander si précisément les notions de frontière et de définition sont encore pertinentes » (Millet, 2001). Par exemple, dans le projet de Danse à 10, la collaboration artistique s’effectue à travers la « mise en commun » des propositions, au niveau de la « mise en scène » de l’événement. En revanche, au niveau des propositions chorégraphiques, il s’agit d’une commande effectuée à différents créateurs, incluant un certain nombre de contraintes (temps, espace, sujet, tarif de la danse, etc.).

On observe une forte et « incessante interchangeabilité des rôles et des objectifs » entre les acteurs ; une perméabilité entre les disciplines, les modes de présentations, etc. L’interactivité entre la création et la production résulte de ces paramètres de collaboration qui s’inscrivent à la croisée des contraintes de production et des paramètres de jeu. Les artistes multiplient ainsi les facteurs déterminants de la création, négocient et déplacent les règles.

Texte de Rachel Billet, issu de la table ronde proposée par La 2e Porte à Gauche dans le cadre des journées d’études de la Société canadienne des études en danse « COLLABORATIONS : INTERSECTIONS, NÉGOCIATIONS, MÉDIATIONS DANS LES MONDES DE DANSE », Festival Transamériques 2012

(à suivre : La collaboration vue par Katya Montaignac…)

Lire aussi : Pourquoi La 2e Porte à Gauche ? Conversation entre membres
Collaborations vidéos avec L E M M


  • Billet R., 2010, Construction des espaces de diffusion (mémoire de maîtrise), Université de Lyon 2, Lyon.
  • Becker H. S., 1988, Les mondes de l’art, Flammarion, Paris.
  • Millet C., 2001, « Écosystèmes du monde de l’art », introduction de «  Écosystèmes du monde de l’art », Art press # 22, Paris.