Les enjeux de la collaboration aujourd’hui (par Katya Montaignac)
Est-ce que les créateurs en danse collaborent plus qu’avant ? Ou autrement ?
1. La collaboration comme nouveau paradigme social
La collaboration fait écho à une nouvelle réalité sociale du fait que nous baignons désormais quotidiennement dans ce nouveau paradigme de l’échange et du partage : colocation, coopérative, copropriété, auto-partage, regroupements, collectifs ou consortiums… Nos vies sont de plus en plus régulées et organisées autour de cette notion de partage des ressources et de mises en commun. Sans parler des réseaux sociaux, des blogs, twitter et autres plateformes d’échanges virtuels… Cette nouvelle réalité devient si généralisée qu’elle induit des changements de politiques culturelles. En art, le système actuel étant conçu avant tout sur un modèle de production basé sur la figure de l’auteur, il s’adapte petit à petit et de plus en plus à ceux qui choisissent de travailler à plusieurs ou encore sur une base transdisciplinaire.
La collaboration devient un nouveau modèle organisationnel.
1.1. La collaboration comme nouveau mythe…
Les possibilités d’échange sont désormais facilitées et les configurations beaucoup plus souples : elles peuvent ainsi changer très rapidement. Paradoxalement à cette nouvelle réalité, le « partage » et la « collaboration » peuvent être un leurre et donner lieu à une absence d’échange réel : parce qu’à distance ou parce que virtuelle. Après le mythe de l’artiste démiurge, faisons-nous face au mythe de la collaboration et du partage ? Myriam Van Imschoot parle de la création des réseaux qui forme « une nouvelle communauté sociale et internationale qui s’enroule sur elle-même comme un serpent se mordant la queue » (Van Imschoot, 2003). Pour elle, la collaboration peut ainsi masquer « un appétit excessif de contacts toujours plus nombreux et diversifiés, si difficile à satisfaire qu’il ne fait qu’alimenter une fuite en avant ».
Pris dans de nouvelles formes de communications basées sur le contact virtuel et les échanges à distances, les artistes s’inventent désormais de « nouveaux tribalismes »* à travers les résidences, spectacles marathons, workshops publics et autres événements invitant de nombreux intervenants, durant lesquels des groupes d’artistes sont invités à travailler ensemble, à manger et à cohabiter dans un même espace. Ces espaces de travail sont un moyen de « redécouvrir l’affect social »* et de recréer un contact « intime »* (entre artistes mais aussi avec le public). Ce fut le cas des expériences de La 2e Porte à Gauche en appartement qui ont donné lieu à une colocation artistique.
1.2. L’idéal de la collaboration
L’artiste aspire à la collaboration comme à un idéal : dans l’absolu, la collaboration permet de se renouveler, se ressourcer, échanger sur son travail, recueillir des feedbacks de la part de l’autre, aller ailleurs grâce à la présence de l’autre, sortir de ses patterns, etc. Mais elle se fait parfois au prix – et ce n’est pas négatif – de certaines remises en question. La collaboration place en effet inévitablement l’artiste en situation de crise car il doit communiquer et négocier avec quelqu’un d’autre : il doit verbaliser à l’autre des intentions qui ne sont évidentes que pour lui-même. La collaboration relève donc de l’utopie : on l’imagine toujours harmonieuse et rassurante, alors qu’elle présente un espace de négociation composé de confrontations, de conflits d’intérêt, de rapports de pouvoir et d’équilibres fluctuants. Le « fantasme » de la collaboration surgit avant tout d’un désir chez l’artiste, mais ce désir ne débouche pas forcément sur une partie de plaisir ! Ce « fantasme » agit comme un stimulant, mais sa concrétisation implique nécessairement un travail de deuil, d’ajustements, de réévaluation et de remises en question essentiels dans le développement d’une démarche artistique. Ces étapes sont nécessaires au processus de création et c’est tout l’enjeu (et l’intérêt) de la collaboration
2. La collaboration comme paramètre de création
Dans ses projets de collaboration, La 2e Porte à Gauche propose aux chorégraphes invités des paramètres de création. Par exemple, pour le projet Blind Date :
– trouver un moyen d’impliquer le public dans une proposition chorégraphique ;
– établir une relation entre le dedans (la scène) et le dehors (le hors scène).
Chaque artiste était donc responsable de la conception d’un tableau. Le tout étant supervisé par un maître de jeu qui établissait le canevas de la soirée à partir des différentes propositions et animait les différents niveaux de participation du public.
2.1. La collaboration avec le spectateur
Questionner le rapport au public en danse contemporaine, c’est le mandat de La 2e Porte à Gauche. Ce paramètre a initié nos premiers projets, notamment in situ (Bal Moderne depuis 2004, Projet Vitrines en 2005, The Art (prononcez dehors) en 2006 et 2008, Blind date en 2007, 7 1/2 à part. en 2008 et 9 1/2 à part. en 2009). Il s’agit avant tout de repenser la relation au spectateur de danse. Pourquoi ne pas le faire participer à la démarche artistique ? Comment « sensibiliser » le public aux réflexions du chorégraphe ? La 2e Porte à Gauche est partie de ce postulat de base (et pari) : aller au devant du public afin de lui présenter différentes démarches artistiques. La collaboration avec le spectateur est ainsi devenu notre moteur de création et de réflexion.
2.2. La collaboration comme processus
La 2e Porte à Gauche produit des événements qui interrogent la danse et ses formats de création. Ce qui nous intéresse avant tout, ce sont les processus mis en place. Les contraintes de création imposées aux artistes leur offrent, paradoxalement, un grand espace de liberté. Nos projets se présentent à ce titre davantage comme une dynamique d’échanges et d’expérimentations plutôt que des produits spectaculaires finis et léchés. Des processus de recherche que nous entamons éclosent certains fruits ; en effet, la finalité du « produit » vient souvent de l’approfondissement d’une démarche individuelle. Régulièrement, les artistes invités par La 2e Porte à Gauche continuent par la suite la démarche amorcée au sein de nos projets. À la fois laboratoire de recherche chorégraphique, plateforme de réflexion sur notre propre discipline et espace d’échanges, La 2e Porte à Gauche agit comme un stimulateur. Ces zones de friction entre pairs nous semblent nécessaires à repenser notre art car, au contact de l’autre, l’artiste affine ses choix et clarifie ses intentions.
Texte de Katya Montaignac, issu de la table ronde proposée par La 2e Porte à Gauche dans le cadre des journées d’études de la Société canadienne des études en danse « COLLABORATIONS : INTERSECTIONS, NÉGOCIATIONS, MÉDIATIONS DANS LES MONDES DE DANSE », Festival Transamériques 2012
(*) Van Imschoot M., 2003, « Lettres sur la collaboration », in Être ensemble : Figures de la communauté en danse depuis le XXe siècle, Centre national de la danse.
(à suivre : La collaboration vue par Élodie Lombardo, une des Soeurs Schmutt…)
Lire aussi : Pratiques collaboratives 1/4 par Rachel Billet
Le fantasme de la participation du public par Katya Montaignac (JEU #147, 2013)