20 Sep
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Quand le théâtre rêve de danse… par JESSIE MILL | Collaboration 4/4

Des collaborateurs venus d’ailleurs (par Jessie Mill)

Les dispositifs de création imaginés par La 2e Porte à Gauche, et plus largement les dispositifs propres à la danse contemporaine à Montréal, font rêver les « gens de théâtre ». Vu d’en face, la danse semble faire preuve de plus d’audace, ose des formats et des présentations qui débordent la proposition spectaculaire attendue, fait parler d’elle sur les scènes internationales, se taille une belle place dans les théâtres montréalais les plus branchés (Usine C, La Chapelle)… Pour sa création Croire au mal (2011), Jérémie Niel envisageait par exemple la collaboration avec des danseurs (Karina Champoux et Simon-Xavier Lefebvre) comme un moyen de retrouver une plus grande liberté dans la direction des interprètes et l’appréhension de la scène. Le chorégraphe Frédérick Gravel et l’auteur dramatique Étienne Lepage présentaient en 2011 le fruit d’un premier travail commun, Ainsi parlait (OFFTA), heureuse rencontre artistique qui leur a permis de mesurer la proximité de leurs univers et de donner littéralement corps aux mots.

Mais pourquoi se tourner vers la danse?

Les raisons sont nombreuses et peuvent sans doute se trouver autant du côté d’un théâtre a priori plus traditionnel – un « théâtre de texte » – que dans des pratiques contemporaines polymorphes ou plus « indisciplinées ». Mais il faut dire que les processus de création ouverts, souvent associés au « Divised theater » en anglais, sont de plus en plus nombreux à mettre en rapport des artistes et des interprètes nourris d’expériences hétérogènes (voire des non-professionnels) dans des cadres de création sur mesure ou néanmoins atypiques. Dans ces cas, les modes de présentation et de production se déclinent autrement : étapes de travail rendues publiques (laboratoire, workshop, etc.), diversité des propositions (installation, performative, formes courtes, etc.). La nécessité d’inventer des outils de collaboration adaptés et de bâtir un vocabulaire commun, apte à l’établissement d’un réel dialogue, oblige les créateurs à se tourner vers d’autres modèles que ceux fournis par leurs pairs immédiats.

Des préoccupations communes au théâtre et à la danse

Si elles sont plutôt indépendantes, les communautés du théâtre et de la danse partagent pourtant de nombreuses préoccupations, outre les éternelles causes communes liées au manque de financement, d’infrastructures et à l’absence d’institutions. Par exemple : l’examen des processus de transmission et de mémoire (mémoire des formes, trace, notion de répertoire), la réflexion sur l’accompagnement dramaturgique et la dramaturgie du spectacle; la remise en question des notions de virtuosité, de professionnalisme et d’amateurisme. Deux préoccupations plus esthétiques viennent clore cette liste non exhaustive. Le théâtre ainsi que la danse remettent constamment en cause la représentation – cela ne date pas d’hier – et explorent de ce fait les seuils du réel et de la théâtralité. Autre souci commun : le corps de l’interprète est pris de plus en plus comme un corps subjectif, singulier, un corps pensant et agissant, un corps performé plutôt que performant, à considérer dans sa globalité.

Le fantasme de la collaboration vient de certains manques. Plusieurs auteurs ne rencontrent pas « leur » metteur en scène, et puisque la rencontre n’a pas lieu, ils vont jusqu’à remettre en question l’existence d’une véritable relève en mise en scène. Plusieurs jeunes metteurs en scène s’étonnent de leur côté que les dramaturgies rencontrées sur leur route, malgré la vitalité et le foisonnement de la production, ne leur offrent pas le terrain de jeu attendu ou espéré. D’où l’envie de se tourner vers de nouvelles avenues, de nouveaux collaborateurs, venus d’ailleurs (un ailleurs géographique ou disciplinaire). Autre raison propre au théâtre : notre tradition du jeu de l’acteur – jeu plutôt réaliste, incarné (voire viscéral), d’une grande efficacité – ne comble pas tous les créateurs. La perspective de travailler avec des interprètes plus physiques et moins entraînés à une approche psychologique ou réaliste du jeu, les incite à se tourner vers la danse.

Trois fantasmes pour le théâtre

1)    Le fantasme de la rencontre

Les dispositifs de collaboration créés par La 2e Porte à Gauche sont exemplaires : Blind Date, colocations créatives, déterritorialisations sous diverses formes. Des formules de mini commissariats se multiplient dans la communauté chorégraphique. Plusieurs grands festivals ont depuis longtemps établi sur cette base des rendez-vous incontournables, tels les fameux « Sujets à vif » orchestrés par le festival d’Avignon et la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) qui proposent à des interprètes et auteurs d’horizons différents de faire un bout de chemin ensemble pour présenter une courte création.

Au festival OFFTA à Montréal, l’initiative des « Mixoff » provoque la collision entre deux univers que tout semble séparer, dans l’espoir que s’établisse un langage original qui transgresse les règles établies ou du moins déborde la question des disciplines. Plus modestement, mais dans un esprit voisin, le CEAD a initié une série de rendez-vous, « Les rencontres hasardeuses », réalisées dans le cadre de notre événement annuel, Dramaturgies en dialogue.

2)    Laboratoire de fantasmes 

Le fantasme est le même partout. Se donner du temps. Les créateurs bataillent fort pour obtenir du temps, de l’espace et les moyens de travailler sans impératifs de production. La machine de production théâtrale est impitoyable! En danse, des lieux comme Circuit-Est et même, à plus petite échelle, le Studio 303, donne l’impression qu’il est possible de prendre le temps, d’être improductif, d’explorer, voire de se former en continu. Le projet de recherche Triptyque, accompagné par Guy Cools depuis 2010 (3 chorégraphes, 3 institutions), est un bel exemple de ses laboratoires dédiés à la création et aux rencontres artistiques. En France, les chorégraphes Boris Charmatz (Bocal, 2005) ou Xavier Leroy (Projet, 2003) ont été à l’origine de grands espaces de liberté. Un lieu comme L’L à Bruxelles (lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création) a de quoi faire rêver la « relève ».  

Au CEAD, les auteurs peuvent bénéficier d’ateliers (entre 3 et 15 heures), subventionnés par Emploi Québec, pour entendre leur texte lu par des acteurs au cours du processus d’écriture ou à l’issu de celui-ci. Ce précieux exercice de mise à l’épreuve, de réécriture et de confrontation à l’autre est bien souvent un des seuls moments préservés des impératifs de production.

3)    Le fantasme du troisième œil

Le dramaturge (au sens de conseiller artistique) entre en jeu de plus en plus régulièrement dans la création théâtrale, même s’il est loin d’être acquis à l’équipe de production classique. Figure d’érudition, le dramaturge est perçu comme un œil extérieur, associé à l’analyse du texte, du sous-texte et du contexte des œuvres dramatiques. C’est du moins la perception dominante qui perdure au Québec, héritage des traditions françaises et allemandes.

En danse, les dramaturges* ont développé une pratique qui prend en compte la simple présence d’une tierce personne en salle de répétition. Témoin, œil extérieur, il est aussi une sensibilité pensante, « miroir actif » du chorégraphe. Attentif à la structure dynamique de l’œuvre, à son rapport avec le public, le dramaturge joue ainsi le rôle de premier spectateur.

Mais il existe aussi en danse une figure absente du processus théâtral (qui n’est pas tout à fait équivalant à l’assistant ou au régisseur) : le répétiteur ou la répétitrice. Son statut privilégié, trait d’union entre les danseurs et le chorégraphe, et le rôle de finition et de raffinement du mouvement qu’il peut jouer, en fait un collaborateur enviable.

Texte de Jessie Mill, issu de la table ronde proposée par La 2e Porte à Gauche dans le cadre des journées d’études de la Société canadienne des études en danse « COLLABORATIONS : INTERSECTIONS, NÉGOCIATIONS, MÉDIATIONS DANS LES MONDES DE DANSE », Festival Transamériques 2012

(*) Cf. sur la question du dramaturge en danse le numéro 155 de Canadian Theater Review intitulé Dance and Movement Dramaturgy dans lequel Katya Montaignac a notamment écrit un texte sur Les paradoxes du dramaturge de danse

Lire aussi : Pratiques collaboratives 1/4 par Rachel Billet
Le fantasme de la collaboration 2/4 par Katya Montaignac
Entre fusion et frictions… 3/4 par Élodie Lombardo